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 Peter Handke

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alain
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Localisation : Dompierre sur Veyle ,France
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PostSubject: Peter Handke   Peter Handke EmptyThu 3 Apr - 23:48

dans Liberation , 3 avril 2008


Quote :
Peter Handke a découvert Paris à 22 ans. Plus tard, il a traduit des écrivains français. Récit de son expérience.


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Au pas de Handke


«Le premier que j’ai traduit est Emmanuel Bove, il y a trente ans. Je revenais d’Alaska, j’avais fini Lent Retour, je retournais en Autriche et je ne pouvais plus écrire. C’était une pause d’angoisse. Je trouve scandaleux d’écrire, je ne comprends pas que ce ne soit pas un problème. C’est un sacrilège et, parfois, je suis un criminel heureux. Je ne pouvais plus écrire, mais je ne voulais pas abandonner les mots, leur rythme, la chaleur qui est à leur place, et, en Autriche, j’avais besoin de lire dans une langue étrangère. J’ai commencé par lire mot à mot les présocratiques. Puis Luc Bondy m’a fait découvrir Emmanuel Bove. Le traduire était un vrai match de foot : Emmanuel Bove était le joueur principal et moi je l’aidais à jouer dans l’autre camp, en langue allemande. Le premier texte était Bécon-les-Bruyères. Il décrit les alentours de la gare, simplement cette gare de banlieue, et c’est incroyable. On n’a vraiment pas besoin de Gabriel Garcia Marquez (1) ! De lui, j’ai également traduit Mes amis et Armand.

«Ensuite, j’ai traduit Francis Ponge. En Allemagne, il était occupé par les avant-gardistes. J’ai recommencé à lire le Carnet du bois de pins tandis que j’écrivais la Leçon de la Sainte-Victoire. Ponge dramatise un moment de sa vie qui, comme dirait Kafka, devient le sentiment profond - le passeport universel. Il voit le ciel d’Aix-en-Provence, au début de la Seconde Guerre mondiale, et il dit : ce ciel est tragique. C’était une nouvelle manière de rendre compte des phénomènes du monde, une possibilité très fraîche de la littérature. Il est vraiment simple à traduire. C’est un joueur. J’ai laissé des mots en français pour l’étrangeté de la langue.

«Et il y a eu René Char. Depuis Paul Celan, qui l’avait magnifiquement traduit, il n’y avait plus rien. J’ai traduit Retour amont et les Voisinages de Van Gogh. Char, c’est comme les présocratiques : on ne comprend pas forcément le texte, mais on voit autre chose en le lisant. Je suis allé chez lui, à l’Isle-sur-la-Sorgue. C’était un faux sévère. Ce jour-là, un colloque lui était consacré, il y avait des universitaires. Tout le monde parlait d’une voix très douce autour de lui. Puis les universitaires ont disparu, il a sorti du vin et il a dit : "Maintenant que les lémures sont partis, on va pouvoir ouvrir une bouteille." Il était très grand et son portail, tout petit. Il se penchait dessus pour l’ouvrir. Quelqu’un y avait accroché une plume. Il l’a prise et il a dit : "Ce sont mes visiteurs préférés." Des gens qui laissent des signes et qui ne dérangent pas. Quand j’ai parlé de Ponge à Char, il y a eu un silence… pas très agréable.

«Quand j’ai découvert ses textes, une phrase de lui dans Aromates chasseurs me fascinait comme un oracle : "Les femmes sont amoureuses et les hommes sont solitaires. Ils se volent mutuellement la solitude et l’amour." Maintenant, cette phrase me fait chier. Ma fille, qui a 17 ans, doit lire Char qui est au programme, et ça la fait chier aussi. Char se rend parfois important. Philippe Jaccottet, en comparaison, ça fait du bien - même s’il joue la modestie. Quand on écrit, il faut être modeste et non pas jouer à l’être. De toute façon chaque écrivain est énervant, mais tous ensemble c’est l’œuvre de Dieu ! Sauf les idéologues : ceux qui ont besoin d’un adversaire.

«J’ai également traduit Une jeunesse et la Petite Bijou, de Patrick Modiano. C’était pour moi une reconnaissance envers la France. Peut-être n’ai-je pas rendu le non-dit de ses phrases, mais je crois qu’il a quand même bien voyagé dans la langue allemande. Modiano est vague, cette manière vague délimite l’existence, il laisse dedans plein de choses vides. Parfois, dans ce vide, il laisse trop entrevoir un abandon ou un crime, ce qui m’ennuie, parce que ça rapetisse un peu le mystère du livre. Il n’y a pas d’utopie chez Modiano. C’est comme si au départ il manquait absolument tout. Au départ, il est toujours en danger : on est à la périphérie de l’âme, avec les orphelins. Un soufi dit que la révélation appartient aux orphelins, et non à ceux qui ont des parents.

«Je ne pourrais jamais traduire un texte de moi en français. Goethe a essayé de traduire son essai sur les plantes, mais il a vite arrêté en disant : ces Français vont me prendre pour un typique mystique allemand ! L’allemand est un vêtement qui peut faire un bruit magnifique, avec qui on peut aller dans les profondeurs de l’âme en restant clair. Mais c’est une langue dangereuse : on ne peut jamais écrire, comme dans la langue américaine, des phrases qui ne signifient rien, juste pour l’électricité du dialogue. En allemand, chaque sensation a un jeu de mots et chaque mot peut devenir une épopée. Or un vrai mystique ne s’abandonne jamais à sa langue, ou alors il se perd. Beaucoup d’écrivains allemands se sont perdus à cause de ça.»

(1) De Gabriel Garcia Marquez, évoquant les dictateurs et même les dirigeants de l’Otan que le Colombien a imaginés ou décrits, Peter Handke dit : «Dans chacun de ses livres, le protagoniste est soit un homme puissant, soit un puissant déchu - et lui, l’écrivain, y est toujours plus ou moins lié, il veut être avec les puissants. […] Que cet écrivain, qui est un bon écrivain, fasse de pareils crétins les héros d’une histoire, pour moi c’est tout simplement un sacrilège.»
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alain
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PostSubject: Re: Peter Handke   Peter Handke EmptyThu 3 Apr - 23:53

Quote :
Livres
Au pas de Handke
Visite. Une journée chez l’auteur de «Par une nuit obscure, je sortis de ma maison tranquille».
Ph.L.
Liberation: jeudi 3 avril 2008
Peter Handke-Peter Hamm Vive les illusions ! Traduit de l’allemand par Anne Weber Christian Bourgois, 172 pp, 18 euros. En librairie le 10 avril.


Ce qu’on cherchait vous attend, puis vous surprend. Rencontrer Peter Handke, c’est d’abord s’installer dans une absence, puis oublier d’être utile dans un monde qui vous reproche de ne pas l’être assez. «L’utile lui est étranger, dit Georges-Arthur Goldschmidt (1), qui fut trente ans son traducteur. Son écriture est celle de quelqu’un qui ne se sert pas du monde, mais y vit et le regarde, au sens fort.» On sonne et il apparaît en chemise blanche sur le perron de sa maison, un ancien pavillon de chasse ou de plaisir, sur deux étages, datant du XIXe siècle. Il a plu, tout est vert, quelques odeurs montent. La silhouette est élégante, presque fragile, très légèrement voûtée, saluant à peine ce qui l’entoure. Il a 65 ans et son mouvement évoque cette phrase dite à Peter Hamm dans un nouveau recueil d’entretiens, dont fut tiré un portrait pour Arte : «Laisser apparaître le temps dans ces catégories sensuelles m’a toujours fasciné.» Ce qui est sensuel, c’est ce qui est lent. Peter Handke séduit par manque de rapidité.



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«J’ai parlé de Ponge à Char, il y a eu un silence»


«Sans frontières». Il dit dans ces entretiens : «C’est quand même, je crois, une condition aujourd’hui universelle de l’écrivain, s’il veut continuer à être auteur : être dans la distance et rester solitaire.» Dans cette distance et cette solitude affirmées, il y a l’innocence d’un œil, la puissance d’un auteur, la coquetterie et les meurtrissures d’un homme : celui qui a soutenu la Serbie et Slobodan Milosevic contre l’Europe. On le lui a beaucoup reproché. Certains l’ont jugé comme si son œuvre n’existait pas, puisqu’ils ne l’avaient pas lue. D’autres, comme Georges-Arhur Goldschmidt, semblent simplement peinés (1) : «Handke s’est trouvé pris dans une spirale dont il ne peut plus, et ne veut plus sortir. Le poétique se perd ainsi dans le politique.» La France est un pays plein de morale et l’un des grands écrivains de langue allemande y est soudain tombé dans un trou.

Peter Handke s’est perdu sur pas mal de routes. S’est-il perdu en Serbie ? Il sourit d’un sourire étrange, séducteur et raidi, puis répond : «Pour une fois, j’aimerais bien être politicien et proposer : nous, l’Europe, on ne va plus poser de conditions à personne. Plus de chantage. On ouvre les frontières sans conditions et ensuite, on verra. Dans cette Europe sans frontières, les Serbes, et en particulier ceux du Kosovo, et surtout les jeunes, pourraient sortir et voyager. Dans l’espace yougoslave, c’était possible.»

Son dernier livre publié en Allemagne, la Nuit moravienne, «projette dans dix ans ce fleuve yougoslave, la Morava». Belgrade est pour lui «la seule ville cosmopolite des Balkans : si on fortifie le sentiment d’être traité de manière injuste, on n’obtiendra rien de bon. Il n’y aura plus la guerre - ils sont complètement épuisés -, mais ce n’est pas une paix lumineuse». Il ne renonce à aucune de ses idées, et cela tombe bien, on n’est pas venu pour le lui demander. Songeant à une phrase des entretiens («A quoi ressemble le pays où mon genre de récit peut se situer et s’amplifier ?»), on demande plutôt :

«- Comment fait-on pour écrire sur des lieux qui n’existent pas ?

- Ecrire sur ce qui est, ce n’est pas mon métier. Je l’ai fait une fois, dans le Malheur indifférent, sur ma mère et son suicide. C’était une nécessité, mais, après, je me suis senti comme un faussaire.»


Peter Handke aime marcher, comme Rousseau : «Il avait besoin de marcher pour se purifier. Il était un peu voyou - prétendument voyou. Ma fille est en train de le lire, elle est révoltée par sa manière de frimer avec ses péchés. Mais marcher, avec lire, est la meilleure manière de se purifier. Avec la miséricorde. J’aime bien marcher là où on ne peut pas marcher, au bord des routes. Entrer dans les villes de très loin. Passer, comme en Espagne, du désert à la grande ville, c’est une expérience spirituelle d’aujourd’hui. Ou traverser une autoroute à pied. Ou se déplacer, comme en Serbie, là où personne ne marche jamais, sinon ceux qui ne peuvent plus faire autrement. Mais je marche moins, car j’ai l’impression de connaître : ce n’est pas une belle impression. Penser arrive par hasard, et il faut beaucoup marcher pour qu’une pensée s’installe.» Ceux qui connaissent marchent peu et ne pensent plus.

Quand il parle, Peter Handke a un ton discret, un sourire courtois et une délicatesse princière. Sa violence ne perce la toile qu’à certains moments, comme une tête d’épingle, un ou deux mots très crus, lorsqu’il évoque un écrivain qu’il n’aime pas ou un sujet comme la Yougoslavie. Il a soudain l’air d’un enfant fané dans sa propre rage. Puis la douceur revient et rabat ses plis sur la conversation.

Désert. Il vit à Chaville, dans les Hauts-de-Seine, depuis le printemps 1990. A la gauche d’une route montant vers la forêt, la maison apparaît au fond d’une arche d’arbres, derrière un vieux portail. Elle lui apparut comme une surprise. Peut-être a-t-il éprouvé quelque chose comme ce qu’il décrit dans Essai sur le juke-box : «Sur le paysage régnait en ce moment cette lumière sombre, claire, comme rayonnant d’en bas de la terre qui depuis toujours lui avait donné le cœur de se mettre sur-le-champ à l’écart pour écrire, écrire, écrire - sans objet ou pourquoi pas sur quelque chose comme un juke-box.» Mais, en ce moment, «je n’écris pas».

Dans la grande salle à vivre, il y a partout des lieux où écrire, où regarder : canapés, fauteuils, table, chacun à des hauteurs différentes, face à des fenêtres, des livres, des tableaux, comme différents nids d’inspiration. Dans l’un d’eux, il y a un tableau de Jacques d’Arthois, paysagiste bruxellois du XVIIe siècle : une famille de bergers au bord d’une rivière, en lisière d’une forêt. Tout annonce les feuillages flottant de Corot. «Le tableau m’a été offert par mon seul ami riche», dit l’écrivain. A gauche de l’entrée, un grand panneau de bois bleu venu d’un restaurant chinois représente des voyageurs en barque sur un lac, allant peut-être vers l’au-delà. Sur la table du repas, une carte géographique sert d’écritoire : elle représente le désert des Bardenas Reales, au sud de la Navarre. Non loin, il y a les Essais de Montaigne, qu’il relit, et le livre d’un soufi. Emploi du temps : «Le matin, je lis de l’arabe, mot à mot, et l’après-midi, des contemporains.» En ce moment, il lit A la recherche de John Ford, la biographie de Joseph McBride. La Courte Lettre pour un long adieu y est cité : le livre finissait par une visite imaginaire au cinéaste. Ford selon Handke dit : «Nous ne rêvons presque plus. Et, si oui, alors nous oublions. Nous parlons de tout, aussi ne reste-t-il rien pour les rêves.» Apparaître dans une biographie de John Ford est, dit-il, l’une de ses grandes fiertés. La seconde est d’avoir écrit les paroles d’une chanson de Van Morrison, Song of Being a Child. La dernière est d’être président de l’association allemande des mycologues.

(1) Un enfant aux cheveux gris, conversations avec François Dufay (CNRS éditions, 121 pp., 15 euros).
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